O Bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao...


En lisant la quatrième de couverture, je m'aperçois vite que je ne suis pas tombée si loin : l'histoire a l'air de se passer à la campagne, il y est question de vignes, de pins, de travail manuel, mais aussi d'alcool. Ce ne sera pas la campagne italienne, mais plus du côté de l'Atlantique, près de Bordeaux.
Des chapitres courts, qui s'enchaînent rapidement. Un personnage qui s'adresse au lecteur dés le début, premier chapitre qui se termine par cette phrase : "Tu t'envoles pour huit heures, payées six euros quarante-sept chacune." Puis c'est ce personnage qui va nous raconter sa propre histoire, celle de sa rédemption. Ecrivain qui a abandonné la plume depuis des années, qui a sombré peu à peu dans l'alcoolisme, à un point tel qu'un 14 juillet, sa femme Myléna lui annonce qu'elle en a assez, qu'elle ne peut plus supporter la vie avec cet homme sûrement devenu méconnaissable après 30 ans de mariage. Leurs grands enfants sont partis, d'eux aussi il semble s'être éloigné progressivement.
150 pages pour tenter de guérir et reconquérir Myléna et ses enfants. Ce sera avec les moyens du bord, ceux qu'offre la campagne landaise : travailler manuellement, s'abîmer les mains dans l'ouvrage précieux de la vigne et de la terre, affronter le froid, le réveil tôt le matin, quand il fait encore nuit. Comme un retour aux sources et aux origines, qui ne fait pas de mal, même si c'est dur, même si le patron est bourru et despotique. Après sa journée de labeur, le narrateur n'a qu'une envie et qu' une hâte : aller aux Lambrusques retrouver les habitués et oublier la journée dans des fonds de verre. Ils sont tous là, comme des gosses qui attendent qu'une chose : jouer à la balle au prisonnier le temps de la récréation, après les cours.
Changer les habitudes, retrouver le goût de lire, celui d'écrire, trouver le courage d'affronter ses propres démons pour accepter la lente dissolution d'un être qui a progressivement tout délaissé pour une obsession. On voit le narrateur à l'oeuvre dans tout ça, c'est dur mais rédempteur. Il part en voyage avec Myléna, entre dans une librairie et achète l'Iliade (le livre qui le fera renouer avec la lecture). Il écrit une lettre très touchante à sa fille, revoit son fils devenu un homme.
L'écriture est simple, le roman est court. Pas de moment pathétique, pas de drame. Les faits, le quotidien d'un homme ordinaire, ouvrier viticole un temps, mais Eric Holder a le talent de les raconter avec une certaine poésie. Poésie de la nature, du bois et de la terre, la vigne vit sous sa plume. Un roman géorgique et touchant dans sa simplicité et sa modestie. Une lecture calme, fluide et douce. De ce livre, le lecteur ne ressortira bouleversé ou changé, cependant on est touché par cette histoire, finalement assez banale mais où l'on entend le lointain écho d'un long poème de Virgile qui raconterait les travaux des champs , d'un Ulysse des temps modernes qui doit se montrer capable de changer avant de regagner le coeur de sa Pénélope.
Je remercie Guillaume de l'opération Masse Critique de Babelio et les éditions du Seuil pour cette belle découverte, et vous l'aurez compris, je recommande cette lecture que j'ai bien appréciée !
Quelques extraits que j'ai aimés :
- la "débauche" aux Lambrusques où on se retrouve pour décompresser, page 54 :
Il y a les petites veillées, ponctuées de chuchotements dans les coins ; les moyennes, où les mots, les rires rebondissent soudain contre les murs de la salle. Enfin les grandes, que tout le monde attend, mais que personne ne peut provoquer.
Le feu a pris pour un motif inconnu, il se propage dans l'établissement. La bonne chaleur de l'Homme jette des lueurs jusque sur le trottoir, des automobilistes s'arrêtent. Jean-Pierre a assis Mario sur ses genoux - sans intention équivoque. Serge et Bruno s'affrontent dans une joute verbale en patois, soutenus par les cris de leurs admirateurs.
- le travail de la vigne, page 97 :
Dans la vigne est venu le moment d'espourguer, d'épamprer, un travail minutieux qui consiste à ôter les bourgeons prétentieux. Les quelques uns que nous laissons, à certains emplacements, s'appellent des cots. Ils pousseront en branches.
Le matin, à la fraîche, chez Marlène [nom de la parcelle de vigne], il convient de nouer un tablier. Les rangées sont trempées de rosée. Une rivière sinue à proximité, d'où s'envole parfois un héron cendré (le même ?). Huit heures sonnent au clocher du village voisin, que le soleil détache en premier sur le bleu cru du ciel. Et tu regrettes de savoir l'heure, d'attendre la prochaine.
- la lettre à sa fille page 107 :
Comment ai-je pu laisser s'écouler autant de temps sans t'écrire (téléphoner, je n'ose pas déjà) ? J'ai l'impression d'émerger d'une longue maladie, de ne recouvrer qu'à grand-peine l'usage du stylo. Il grince sur la feuille comme s'il était rouillé, mais baste ! Je le mènerai à travers le vide papier que la blancheur défend jusqu'à te serrer dans mes bras, jusqu'à ce que tu éprouves cette sensation-là qui me manque, pour ma part, avec une intensité que tu ne peux imaginer. I miss you, "je te manque, te rate".
Le feu a pris pour un motif inconnu, il se propage dans l'établissement. La bonne chaleur de l'Homme jette des lueurs jusque sur le trottoir, des automobilistes s'arrêtent. Jean-Pierre a assis Mario sur ses genoux - sans intention équivoque. Serge et Bruno s'affrontent dans une joute verbale en patois, soutenus par les cris de leurs admirateurs.
- le travail de la vigne, page 97 :
Dans la vigne est venu le moment d'espourguer, d'épamprer, un travail minutieux qui consiste à ôter les bourgeons prétentieux. Les quelques uns que nous laissons, à certains emplacements, s'appellent des cots. Ils pousseront en branches.
Le matin, à la fraîche, chez Marlène [nom de la parcelle de vigne], il convient de nouer un tablier. Les rangées sont trempées de rosée. Une rivière sinue à proximité, d'où s'envole parfois un héron cendré (le même ?). Huit heures sonnent au clocher du village voisin, que le soleil détache en premier sur le bleu cru du ciel. Et tu regrettes de savoir l'heure, d'attendre la prochaine.
- la lettre à sa fille page 107 :
Comment ai-je pu laisser s'écouler autant de temps sans t'écrire (téléphoner, je n'ose pas déjà) ? J'ai l'impression d'émerger d'une longue maladie, de ne recouvrer qu'à grand-peine l'usage du stylo. Il grince sur la feuille comme s'il était rouillé, mais baste ! Je le mènerai à travers le vide papier que la blancheur défend jusqu'à te serrer dans mes bras, jusqu'à ce que tu éprouves cette sensation-là qui me manque, pour ma part, avec une intensité que tu ne peux imaginer. I miss you, "je te manque, te rate".